Heimdallr
Si un jour, sur un coup de tête, vous ressentiez subitement l’envie de vous lancer dans une étude critique de la mythologie nordique, je peux vous dire que vous risquez de rencontrer quelques complications. Si on a eu une enfance européenne à peu près normale, il est très probable que l’on connaisse l’une ou l’autre histoire qui met en scène Thor et son marteau, Odin le savant borgne, ou le fourbe Loki. Il est cependant moins probable qu’il nous soit arrivé de nous demander d’où ces histoires viennent. Si quelqu’un nous pose la question, nul doute que notre imagination nous enverra quelque représentation d’une grand-mère viking racontant ces histoires à de jeunes enfants dont les pillards de pères sont occupés à écumer les côtes d’Europe. Pourtant, cet imaginaire est aussi fondé que celui qui nous ferait dire que ces histoires viennent d’un habitant de l’actuelle Turquie arrivé en Scandinavie sur un pédalo. Mais on peut imaginer que ce n’est pas vraiment ce qu’un amateur de mythologie nordique a envie d’entendre.
Ce qu’on sait de l’origine de ces histoires est au final assez maigre si on le compare à l’institution qu’est devenue la mythologie scandinave dans la culture populaire actuelle. Pour résumer de façon bien trop succincte, les histoires de Thor, Odin & Loki que nous connaissons viennent de textes rédigés au moyen-âge par des lettrés chrétiens. Il est donc bien impossible de déterminer l’ancienneté de ces histoires. S’il ne fait aucun doute qu’elles constituent un patrimoine du Nord de l’Europe, on ne peut pas vraiment les associer fermement à l’une ou l’autre peuplade qui occupait le Nord il y a plus de 1000 ans. On peut encore moins faire de la mythologie nordique une religion qui aurait unie les ancêtres des Islandais, des Danois, des Norvégiens et des Suédois dans une même croyance.
Malgré des sources écrites divergentes et peu nombreuses, la mythologie nordique est devenue le sujet d’images fortes; difficile de ne pas se représenter Thor en viking sous stéroïdes un marteau à la main en lieu de hache. Là encore, concernant la représentation des histoires du Nord, le public a des attentes. Aller de façon brutale à leur encontre, c’est prendre le risque de n’être jamais lu, un risque éditorial dont essaye de se passer n’importe quel éditeur soucieux de la santé financière de son entreprise.
Dans le contexte d’une édition numérique sur iPad traitant précisément de la mythologie scandinave, il a fallu que je me prête à l’exercice délicat de créer un univers visuel familier pour le lecteur amateur d’anciennes choses nordiques. Ce faisant, le danger était de tomber à pieds joints dans la marmite évidente du graphisme folklorique. Alors pour éviter une telle déconvenue, je m’en suis remis à l’histoire, au visuel authentique: à l’écriture et à l’artisanat du Nord ancien. Cette approche a mené, entre autre, à l’élaboration d’un caractère typographique particulier.
Ce caractère, pour l’instant baptisé Heimdall (le gardien du pont qui lie le monde des hommes à celui des dieux), a d’abord été développé pour un usage précis au sein de cette édition: la composition des textes en vieil islandais. Comme la publication comporte un nombre assez important de citations dans leur langue d’origine, il m’a semblé utile (et visuellement intéressant) de rendre leur présence systématiquement évidente. L’avantage de cette idée, c’est qu’elle offrait une belle opportunité de renforcer le semblant d’authenticité donné à l’ambiance visuelle de la publication numérique. Les textes originaux sont écrits dans des formes de gothiques primitives qui par un heureux hasard sont encore criblées de formes semi-onciales, des formes qui dans l’imaginaire collectif évoquent le moyen-âge, les moines irlandais, les vikings et autres personnages obscurs habillés de sacs à patates avec une épée à la ceinture. C’est pour ces raisons que je me suis tourné vers les manuscrits originaux de la mythologie nordique pour servir de base au dessin typographique. Le résultat est un caractère inspiré de l’ancien mais dont je n’ai jamais voulu faire une antiquité. En le dessinant (avec la participation de Laurent Bourcellier), nous avons repris un certain nombre de particularités trouvées dans les manuscrits, ce qui lui confère un rythme et une couleur animés mais le rend moins évident à lire qu’un caractère d’usage commun en texte. Bien heureusement, les textes qu’il sert à composer sont écrits en vieil islandais: la part de lecteurs en mesure de se plaindre de la difficulté qu’ils ont à lire ces textes audacieux ne devrait pas représenter un danger trop important. Mais pour me rassurer, je pourrais rapporter que des lecteurs aptes – des chercheurs en mythologie nordique – se sont plutôt réjouis de retrouver leurs textes d’études dans une forme proche des manuscrits qu’ils connaissent si bien.
Je tiens à (re) souligner l’inestimable collaboration de Laurent Bourcellier sur ce projet.
mars 18th, 2013 at %H:%M
Magnifique ! A-t-on une chance de voir ce caractère de caractère arriver sur la VTF ? En tout cas cela me plairait beaucoup de jouer avec lui…
mai 27th, 2013 at %H:%M
This is absolutely stunning. Will it ever be available for personal or commercial use? I’d love to use this for a brand I’m developing.
août 22nd, 2013 at %H:%M
Il est vraimnt superbe! Bravo a vous deux, alors! On pourra le trouver dans le commerce un jour?
août 22nd, 2013 at %H:%M
Il est vraiment superbe! Bravo a vous deux, alors! On pourra le trouver dans le commerce un jour?
mai 21st, 2014 at %H:%M
what they said.
octobre 8th, 2014 at %H:%M
Beaucoup de style pour ce (re)dessin ! Comme une gourmandise de luxe !