Absurdes calendriers
« Du temps de Charlemagne, on commençait l’année à Noël en France et dans tous les pays soumis à la juridiction du grand empereur. Ce jour était doublement célèbre, comme fête de la naissance du Christ et comme jour du renouvellement de l’année; cette vieille coutume a laissé des traces impérissables dans les habitudes saxonnes, car aujourd’hui encore, chez les Allemands et chez les Anglais, le jour de Noël est fêté avec beaucoup plus d’éclat que le 1er janvier. Il eût été plus logique et plus agréable à la fois de clore l’année avec l’hiver et de la commencer avec le retour du soleil, c’est-à-dire de fixer ce renouvellement à l’équinoxe de printemps, à la date du 21 mars, ou de le laisser au 1er mars, tel qu’il était il y a deux mille ans. Loin de là, on a été justement choisir la saison la plus désagréable qu’on ait pu imaginer, et c’est au milieu du froid, de la pluie, de la neige et des frimas qu’on a placé la fête des souhaits de bonne année ! Il y a déjà plus de trois cents ans qu’on a pris cette habitude en France, car elle date d’un édit du triste roitelet Charles IX (1563). Elle n’a été adoptée en Angleterre qu’en l’an 1752, ce qui donna lieu à une véritable émeute; les dames se trouvaient vieillies, non seulement de onze jours, mais encore de trois mois, puisque le millésime de l’année se trouva changé à dater du 1er janvier au lieu de l’être au 25 mars, et elles ne pardonnèrent pas cette surprise au promoteur de la réforme; les ouvriers, d’autre part, perdant en apparence un trimestre dans leur année, se révoltèrent avant de comprendre qu’il n’y avait là qu’une apparence, et le peuple poursuivit lord Chesterfield dans les rues de Londres aux cris répétés de: Rendez-nous nos trois mois ! Mais des almanachs anglais de l’époque assurèrent que toute la nature était d’accord, et que les chats eux-mêmes, qui avait l’habitude de tomber sur leur nez au moment où l’année se renouvelle, avaient été vus se livrant au même exercice à la nouvelle date. Les Napolitains avaient déjà affirmé d’autre part qu’en 1583, le sang de saint Janvier s’était liquéfié dix jours plus tôt, le 9 septembre au lieu du 19 ! Ces arguments superstitieux ou puérils valent ceux des Romains qui prétendaient tromper le Destin en appelant «deux fois sixième» bissectus, au lieu de septième, le jour intercalé en février tous les quatre ans. Par ce subterfuge, février n’avait toujours que 28 jours et l’on évitait un sacrilège et de grands malheurs publics. Ce jour supplémentaire étant ainsi caché entre deux autres, les dieux ne le voyaient pas !
Non seulement cette fixation du commencement de l’année au 1er janvier est illogique et désagréable, mais elle ajoute encore aux irrégularités du calendrier en changeant le sens des dénominations des mois de l’année. L’année romaine commençait le 1er mars, et les douze étaient ainsi réglés :
- Mars, dieu Mars
- Aprilis, Aphrodite (Vénus) ou aperire (ouvrir)
- Maïa, déesse Maïa
- Junius, déesse Junon
- Quintilis, cinquième
- Sextilis, sixième
- September, septième
- October, huitième
- November, neuvième
- Décember, dixième
- Januarius, dieu Janus
- Februo, dieu des morts
Le premier mois était consacré au dieu de la guerre, patron suprême des Romains, le dernier au souvenir des morts. Quintilis et Sextilis sont devenus Julius et Augustus, pour honorer la mémoire de Jules César et d’Auguste. Tibère, Néron et Commode essayèrent de se faire consacrer les mois suivants; mais heureusement pour l’honneur des peuples, cette tentative ne réussit pas. Aujourd’hui, le mois auquel nous avons conservé la dénomination du 7e mois de l’année, septembre, se trouve être le 9e mois ; octobre (le 8e) se trouve être le 10e ; novembre (le 9e) se trouve être le 11e, et décembre (le 10e) est devenu le 12e et dernier. Conçoit-on des désignations plus absurdes ? Et tout cela pour avoir porté le commencement de l’année de mars où le printemps s’annonce, en janvier, où le temps est généralement le plus sombre et plus le plus triste du monde ! »
Camille Flammarion dans Astronomie populaire, 1890, extrait.