Corpus
mercredi, janvier 19th, 2011La ‘révolution‘ numérique, avec tout ce qu’elle a apporté d’avantages pratiques, a également fondu des morceaux de culture et pratiques typographiques qui donnaient quelques lettres d’expertises supplémentaires aux métiers de la typographie. Les poinçons qui devaient être gravés à la taille réelle du corps que l’on souhaitait fondre demandaient un temps de travail important, un œil expert et une main aguerrie. L’avantage que comportait la gravure à taille réelle, c’est qu’on était à peu près sûr (selon la qualité du graveur) d’avoir un caractère adapté à l’usage prévu, du texte, du titre ou de l’annonce de plus gros corps. Cette qualité des caractères s’est dissipée au fil des évolutions techniques successives jusqu’à devenir un fantôme avec l’avènement de la photocomposition puis de l’informatique. On a été tellement ébahis par la facilité avec laquelle un seul dessin de lettre pouvait être dimensionné à loisir qu’on en a oublié que l’échelle du dessin confère des qualités particulières de restitution à l’échelle choisie et anticipée. Il y a eu, et il y a encore, des caractères numériques qui reprennent ce principe des dessins destinés à des échelles précises – les fameux corps optiques – mais ce genre de créations, parce que plus longues à développer et plus contraignantes à utiliser, restent marginales. À vrai dire, dans certains cas, concevoir des corps optiques seraient de l’excès de zèle et on peut s’en passer assez souvent pour que leur relative rareté ne soit pas un fait plus regrettable que ça.
À l’époque du plomb, on disposait de moins de tailles de corps, puisqu’il fallait toutes les graver une à une, alors que l’informatique permet virtuellement de composer dans une infinité de tailles, avec des valeurs de points improbables et décimales. Aujourd’hui, nommer une taille de corps autrement que par sa valeur chiffrée n’aurait que peu de sens puisque cette valeur est d’une variabilité infinie, mais autrefois, chaque taille usuelle avait son petit nom. J’ai trouvé la liste de ces noms (en français) dans le Traité de la typographie édité par Henri Fournier dans les années 1820 (l’édition que j’ai consulté est de 1825 mais je ne suis pas sûr que ce soit la première). Comme ce traité est une des raisons qui me fait travailler sur la création d’une didone, et que cette didone me fait m’intéresser aux corps optiques (autrement que H&F-J), je poste cette liste composée dans ledit caractère, en l’état.
Cette liste soulève quelques questions puisque certaines équivalences ne sont pas confirmées de toutes sources, notamment le Trismégiste qui est ici défini comme le corps de 33 points alors qu’on trouve aussi l’équivalence de 36 points (plus fréquente il me semble). De même, un Cicéro correspond normalement à 12 points. Je me suis demandé s’il s’agissait d’erreurs, et si c’est le cas, elle ont été parfaitement reproduites dans une édition de 1826. J’aurais donc tendance à penser que ces variations tiennent au système de mesure typographique employé, puisque les points ont eu des valeurs variables selon leurs origines (P-S. Fournier, Didot, etc. ?), mais surtout parce que c’est peu ou prou (et à la louche) à cette époque que les nomenclatures du genre se sont établies d’où, je suppose, les irrégularités. En tout cas, cette liste permet aussi de rappeler que la liberté nouvelle de composer à la taille qui nous plaît n’est pas forcément un bénéfice absolu, et que tenter des compositions avec ces rapports de tailles fixes* peut parfois présenter un intérêt, ne serait-ce que pour un exercice de style.
*Je parle de rapports de tailles parce que les points ‘informatiques’ sont ceux du système Pica et non Didot (ou Fournier) en usage dans cette liste.