Murs
mercredi, novembre 23rd, 2011Visuel paru dans la publication Capharnaüm No. 5.
Collaboration: Texte de Marie-Alice Villaume,
composé par mes soins (oui mes soins composent).
Visuel paru dans la publication Capharnaüm No. 5.
Collaboration: Texte de Marie-Alice Villaume,
composé par mes soins (oui mes soins composent).
Ici, une rapide expérimentation autour du caractère primitif de l’histoire typographique, textura, confronté au caractère primitif de nos écrans, et de leurs résolutions minables. Le nom textura proviendrait de la similitude visuelle entre les compositions faites avec ce caractère et les maillages des matières textiles. La nature ordonnée des pixels me semblait rejoindre l’idée du textile, un autre quadrillage, alors j’ai voulu jouer, restituer cette texture typographique avec la finesse rugueuse d’un petit corps sur écran. J’admets, c’est une façon un peu étrange de se détendre, mais c’est également une recherche intéressée. Je suis allé volontairement vite en besogne, ce n’est qu’un essai.
Comme amorce d’un projet plus large, j’ai entrepris de dessiner des archétypes d’alphabets romains de l’Humane à la Linéale, afin de détacher la représentation de chaque famille, des fontes qu’on montre en général comme exemples mais dont les différences formelles sont parfois telles qu’elles me semblent brouiller la distinction des éléments du style typographique. J’ai donc dessiné ces archétypes à partir d’une structure unifiée que j’ai fait évoluer selon les paramètres typiques de chaque style. Pour l’instant, je me suis concentré sur ces familles dont l’évolution est claire, mais il faudra aussi que j’aborde le reste, tout en affinant ce premier jet. Le visuel qui suit est le début d’un travail de visualisation qui devrait intégrer la chronologie et les migrations géographiques des styles (romains uniquement) à travers les cinq siècles fondateurs de la typographie contemporaine.
Sans plus d’annotations pour l’instant, juste le dessin, et un blabla indigeste après:
Ceci est une déclaration d’amour. Pour une couleur typographique.
Il s’agit d’un livre de la fin du XIXe siècle, composé dans un caractère d’inspiration classique (XVII-XVIIIe) que je suppose gravé après cette période parce qu’il semble un peu parasité par des influences formelles des styles postérieurs, ce qui ne me déplait certainement pas. Bon, je n’ai pas étudié la question de très près donc je me fourvoie peut-être, mais peu importe. Ce qui m’enchante surtout, c’est le gris typographique de ces pages, bien plus agréables à lire que la plupart des compositions contemporaines, aux équilibres ignorants, ignorés, & anémiques (caractère trop maigres).
À propos de couleur, ce caractère m’a rappelé le travail de William Berkson sur la réhabilitation d’un romain de Caslon: Reviving Caslon.
On m’avait enjoint plusieurs fois de me rendre aux Rencontres de Lure, et si l’événement semblait inévitable pour un obsédé typographique comme moi, je n’avais jamais été envahi par l’impulsion définitive. Finalement, j’avouerai sans détour que j’ai franchi le pas en cédant à une promo. exceptionnelle de –25% !
Les dernières minutes de la route sont les plus épiques, on s’imaginerait sans peine monter la route sinueuse qui mène au village de Lurs sur les harmonies wagnériennes d’un orchestre hollywoodien; Le héros atteint l’objet d’une quête qu’il ignore encore. Lurs est un de ces vieux villages provençaux, de petite stature mais à la noblesse surplombant les environs. De chaque côté et chaque jour, on observe le soleil émerger pour retomber presque exactement en face sur un horizon à la vue toujours dégagé, et dans les étroites ruelles du bourg, on peut se perdre dans une époque indécidable, toujours belle (vous les entendez les violons là ?)
Les Rencontres Internationales de Lures sont un événement qui célébrera ses 60 ans l’année prochaine. Fondées par Maximilien Vox, elles sont parties de peu et ont reçu depuis les débuts, la visite et la participation de nombreuses personnalités du mot, de l’image et de l’idée.
À Lurs j’ai vécu une semaine qui avait souvent les airs d’une réunion de famille. Il y avait des graphistes, des typographes, des écrivains, des dessinateurs de caractères, des historiens, des photographes, des enseignants, tous amoureux du texte, du mot, de la lettre, et même du chiffre. De l’inscription lapidaire au manuscrit, du manuscrit au livre, et du livre au numérique. Comme les autres réunions de famille, il y a les anciens, il y a les enfants. Il y a Tonton Serge qui dit toujours des trucs étranges mais souvent amusants, et il y a les cousins, ils font partie de la famille mais on espère qu’on ne sera pas à table avec eux.
Je n’ai pris aucune note – par habitude – et maintenant que je veux écrire une chronique, je suis un peu embêté. Mais je vais quand même essayer, en choisissant de façon très subjective quelques unes de la trentaine d’interventions auxquelles nous avons pu assister, pour les commenter brièvement, donner mes impressions sur l’ensemble et peut-être transmettre un peu de cet esprit lursien si particulier, qui nourrit l’enthousiasme et l’esprit de ceux qui passent une semaine au village (violons alto).
Les éléments choisis sont ordonnées dans l’ordre chronologique.
La première intervention qui m’a laissé un sentiment très agréable était celle de Didier Mazellier, jeune graphiste officiant avec son épouse, Évelyne Mary, en Ardèche, au sein du studio Heureux les cailloux. Héraut d’un graphisme citoyen et impliqué dans la communauté à laquelle il appartient et rend service, Didier a fait la démonstration de la viabilité d’une pratique graphique rurale, souvent considérée comme trop pénible, voire impossible à maintenir. C’est certainement un exemple auquel je suis sensible, étant moi-même peu enclin à passer ma vie entière dans le bruit des villes. En plus de ses activités professionnelles, le couple fait vivre un atelier d’impression, typo– et séri-graphique, et fait usage de ses compétences en communication visuelle pour prendre part à des actions en faveur de préoccupations environnementales et sociales, et tout ça avec une légèreté que j’ai trouvée plutôt juste.
http://www.heureuxlescailloux.com/
Cet affichiste suisse était une des nombreuses lacunes qui rendent ma culture graphique extrêmement poreuse. C’est à un homme d’un âge certain mais certainement espiègle et joueur à qui nous avons eu affaire. Au travers des affiches faisant majoritairement la promotion d’événements culturels, Niklaus Troxler ponctuait ses explications d’anecdotes amusées sur les origines de certaines affiches obscures. Avec une nonchalance qui paraissait plutôt naturelle, il nous a présenté son travail comme un jeu, rattachant le message de ses affiches au visuel par des liens quelques fois absurdes. Mais quand bien même, la qualité et l’impact des visuels venait toujours servir et mettre en valeur cet absurde, plutôt que le dissimuler. Ainsi, une affiche pour Cecil Taylor montrant un doigt coupé prend un sens burlesque lorsque Troxler nous explique que « peut-être, un taylor utilise des ciseaux » et qu’un accident est si vite arrivé.
Ce jeune britannique a commencé par se définir comme suit. Il utilise des techniques qui appartiennent au design graphique, mais les emploie au service d’une pratique qu’il appelle artistique. Il nous a fait part de son intérêt pour la plasticité et la fluidité de la langue, et selon lui, cet intérêt est né de sa dyslexie. Ses travaux sont des tentatives de manifestation de ces plasticité et fluidité de la langue. Il découpe, décompose, extrait, déplace, replace, et colle des mots, jusqu’à des morceaux de lettre pour produire des images de ses recherches dans le domaine linguistique, des recherches plus poétiques que pragmatiques. Dans son projet Dictionnary Story, il explique comment est née l’idée d’un jeu narratif autour du principe de dictionnaire. Au royaume des livres, certains livres racontent certaines histoires car ils contiennent certains mots. Mais il en est un, qui contient tous les mots et peut donc raconter toutes les histoires, le dictionnaire. Ainsi, Sam Winston s’est mis à écrire une historiette, dans le sens vertical, laissant à l’horizontale l’espace de toutes les définitions de chacun des mots employés dans l’histoire. Et à mesure qu’elle avance, les définitions prennent vie et deviennent une manifestation graphique du propos que contient le récit. C’est un simple exemple de la façon libre dont il veut jouer avec le texte, de son écriture à sa mise en forme.
J’avais eu vent du travail de Morgane par un collègue et les termes de sa recherche ne pouvait que susciter ma curiosité. Elle cherchait à trouver une solution typographique au problème de la composition d’ouvrages multilingues. Déjà intimidée, elle ne s’attendait sans doute pas aux réactions houleuses qu’elle allait provoquer par sa présentation. Son travail, qui doit résulter en une famille de caractères chacuns dédiés à une langue spécifique, aborde deux grands axes. D’une part l’encombrement comparé des langues, en vue de réduire les différences de longueur d’un même texte dans plusieurs langues. D’autre part, la question de la différenciation de ces langues lorsqu’elles sont composées côte-à-côte. Ce qui a hérissé le poil de certains venait de la seconde partie, parce que Morgane a fait le choix d’aborder cette question de différenciation en tâchant de déterminer des particularismes nationaux dans le traitement formel de la typographie. Cette façon de faire, qui ne me dérange pas vraiment, a sans doute fait jaillir chez certains la crainte du problème que semble poser pour eux le concept d’identité nationale exprimé en typographie. Certes, de nombreux points sont discutables dans ce projet, mais je pense que trop ont immédiatement écarté les qualités de ce travail sur la simple base des maladresses qu’il contient, alors qu’à mes yeux, il est l’amorce d’une recherche qui peut aboutir à un résultat très intéressant. Morgane ne l’a peut-être pas assez affirmé, et pourtant elle le dit, c’est un travail en cours, et j’espère qu’au moins les réactions constructives (parce qu’il y en eut qui ne l’était absolument pas) l’aideront à avancer.
Ce monument de la création typographique française est apparu, calme et posé, au côté d’Olivier Nineuil, qui nous a guidé à travers quelques travaux moins connus que les incontournables classiques. Navigant entre des logos que tout le monde connait et croise au quotidien, les caractères qui occupent le paysage typo-graphique depuis de nombreuses décennies, et ceux qui n’ont pas survécu au mouvement technologique, nous avons eu un bel aperçu de l’ampleur des travaux d’Albert Boton. Bientôt, un nouveau site sera en ligne, mettant à disposition un ensemble de documentation inédite, pour donner à ce maître, une vitrine à la hauteur de son œuvre.
Mais plus que les interventions, ce qui me restera surtout, ce sont quelques très belles rencontres et le sentiment d’appartenance à un microcosme en effervescence. D’une typographie française endormie, on assiste à un renouveau. On a entendu ça et là, des anciens aux cheveux pas trop blancs, dirent qu’on avait rarement connu autant de dessinateurs de caractères et de jeunes fonderies françaises en même temps, ce qui est très encourageant. Nous avons reçu la visite de quelques intervenants étrangers, notamment le talentueux Christian Schwartz, de la fonderie anglo-américaine Commercial Type. Et pour illustrer la vision que le monde a aujourd’hui de la typographie française, un super-acolyte dont je tairais le nom bien trop blond, a demandé à Christian ce qu’il pense de la création typographique française. La réponse: un sourire et un silence. Tout était dit. C’est précisément ça, je pense, que cette nouvelle effervescence changera. Garder le sourire, remplacer le silence.
En plus de n’avoir pris que peu de notes, je n’ai pas non plus pris beaucoup de photos (je regrette aussi), mais il y en a quelques unes quand même, que je pose ci-après. Du lever de soleil face au gîte aux conférences et discussions.
Belafonte est une tentative étudiante, née de l’envie que j’avais de donner un nouveau souffle à un caractère étrange et amusant de Roger Excoffon, le Calypso. Il y a eu quelques essais de réhabilitations numériques, certaines tâchants d’être précises mais aucune de façon convaincante. Personnellement, j’ai du mal avec la fausse trame offset qui me renvoie à une nostalgie de la fin des années 50 avec laquelle je ne suis pas à l’aise, c’est pourquoi j’ai voulu extraire le concept visuel exprimé dans ce caractère pour proposer quelque chose qui tiendrait plus de l’hommage que du revival. C’est ce qui explique l’emploi d’un autre nom.
Spécimen de la fonderie Olive à partir duquel j’ai fait le premier dessin.
Le principe développé est finalement assez simple. Je remplace une trame par une autre qui me semble moins datée et permet de renouveler le style du caractère tout en lui conservant ses caractéristiques dynamiques et l’esprit du volume que transcrivent ces formes. Après quelques égarements, j’ai fini par employer les dégradés de forme, communs dans Adobe Illustrator, pour reproduire des dégradés et les travailler facilement. Le but était d’obtenir un système de trames qui permettrait de produire un fichier de fonte classique.
Différents essais de transcription des dégradés.
Finalement, je n’ai pas eu le temps (ou la patience ?) de développer sérieusement cette fonte, mais le travail de base étant fait et déjà exploitable jusqu’à un certain point, j’ai imaginé rendre mes recherches et les quelques aboutissements disponibles en open source pour l’éventuel plaisir de quelques uns. Ce qui était imagination devient donc un fait, par le fichier que je propose au téléchargement aujourd’hui, contenant une fonte sommaire, et les fichiers vectoriels qui permettront aux enthousiastes de jouer avec ce que j’ai produit jusque là, le modifier, l’augmenter, l’améliorer, etc.
Il faut bien prendre conscience que cette création (le Calypso à l’origine) n’a jamais été conçue comme un caractère classique mais plus comme un ensemble de lettrines ou lettres devant d’abord servir à composer des mots pour des effets de titre. C’est pourquoi je ne me suis pas collé au développement d’une fonte complète, comme certains l’ont essayé, parce que je trouve ça tout simplement absurde. J’ai cependant pris le temps de dessiner des chiffres et une esperluète, ainsi que les accents (parce que les capitales s’accentuent, oui oui).
Ce travail est diffusé en Creative Commons, sous la licence ‘Paternité’, il n’est que nécessaire de mentionner son origine (mon nom quoi), mais toute utilisation commerciale ou non est autorisée, toute modification est autorisée, tant que le/s fichier/s modifié/s est remis en circulation dans les mêmes conditions, c’est-à-dire librement et gratuitement.
Pour la petite histoire, surtout à destination des nouveaux venus ou des inattentifs, le nom Belafonte est une référence directe au navire de Steve Zissou dans le film dont il est l’anti-héros, The Life Aquatic, nom de navire qui fait lui-même référence au navire de Jacques-Yves Cousteau (dont Steve Zissou est une parodie), la Calypso. Pour ce qui est de la raison du nom Belafonte attribué au navire, je vous laisse livrés à vous-même.
Belafonte de Loïc Sander est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité — Partage des Conditions Initiales à l’Identique 3.0 Unported. Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être discutées à cette adresse: loic (at) akalollip (dot) com
Enfin, si le travail de Roger Excoffon vous intéresse, je ne peux que chaudement vous recommander la lecture du livre publié chez Ypsilon Éditeur en novembre 2010, Roger Excoffon et la fonderie Olive, très complet, agréable à lire et une mine d’informations au sujet de ces travaux typographiques qui ont profondément marqués le paysage typographique et urbain français.
Autrefois à ce sujet:
bel.bir (Belafonte birnbaum)
Belafonte: encore
Paperknack (naissance de Belafonte)